A la recherche de la Chèvre d'Or
A la recherche de la Chèvre d'Or
Près de Soleilmont, dans une enceinte dite Ville des Sarrasins, se dressaient, jadis, plusieurs monticules dont un, plus élevé, faisait figure de tumulus. A son sommet, une dépression que les gens de l'endroit nommaient «El pusse del Gade d'Or».
Combien d'aventuriers étaient partis de ces bords à la recherche du fabuleux butin ? Combien de rêves d'opulence s'étaient ici évanouis ?
Partout dans la région, la Chèvre d'Or désignait un trésor enterré dans un puits naturel, des ruines, un camp, un cimetière ou sous un château. A Gerpinnes se trouvait la «carrière del Gade d'Or». Loverval possédait son trésor caché, Monceau-sur-Sambre croyait à un butin dans un coffre très lourd. A Godarville, un trésor de pièces triangulaires avait été enfoui dans le jardin du Castia par l'ancien seigneur, le général Van der Beeke. Ce dernier fut tué au combat ; sa femme, morte en couches, se serait réincarnée et aurait poussé les habitants à organiser les mystérieuses fouilles, silencieuses et nocturnes, de 1879. Elle voulait se remarier et rentrer en possession de ces 608 kilos d'or qui gisaient sous terre !
Ces mystérieuses chèvres d'or, affirmait la légende, avaient été coulées par les Nutons, enterrées par les Sarrasins, placées sous la garde d'un animal fantastique ou d'un démon. Parfois, une fée leur donnait vie et, la nuit de Noël, de la Saint-Jean ou du Samedi Saint, la chèvre gambadait de ruine en ruine, effrayant les rôdeurs nocturnes.
La quête du butin est au cœur de la légende : dès qu'un téméraire, plus hardi que les autres, décide de s'emparer de la Chèvre d'Or, il doit se conformer à tout un rite. Il sait pourtant les souffrances de ceux qui n'ont pas réussi, les frayeurs au bout des souterrains, il sait même que certains n'en sont pas revenus. Mais l'attrait de l'or est si enivrant qu'il ne peut y résister.
Il questionne d'abord les vieux, ceux qui connaissent la tradition et le rituel. S'il habite Godarville, il devra prendre une poule noire, se rendre à minuit au carrefour des quatre chemins et attendre l'apparition de Satan en personne qui le renseignera, en échange de la poule. Il repère ensuite l'endroit précis où gît le précieux magot. S'il l'ignore, il doit recourir à un particulier qui manie parfaitement la baguette fourchue en bois de coudrier. Le pouvoir de faire tourner cette côrette n'appartient qu'aux personnes nées voilées ou qui ont vu le jour un dimanche matin au moment de l'élévation. Quand la côrette tourne d'elle-même, la Chèvre d'Or n'est pas loin.
Une fois l'endroit connu, notre aventurier doit se procurer des bougies de graisse humaine ou, à défaut, des bougies bénies le jour de la Chandeleur, les seules qui brûlent sans être vues par les esprits maléfiques. Notre homme est enfin prêt. Le soir tombe, le soleil meurt, la nuit vient. C'est le moment où le démon abandonne ce qu'il garde le jour pour vagabonder de par le monde. La Chèvre d'Or est donc sans surveillance.
A minuit, le chercheur s'aventure dans les entrailles de la terre et franchit les limites du domaine infernal. Sans trembler, il progresse doucement, fouillant coins et recoins, examinant les crevasses les plus humides. De temps à autre, il allume une nouvelle chandelle à celle dont la clarté vacille. Mais la bougie neuve pétille de plus en plus, puis s'éteint brusquement. C'est le signe!
La chèvre est là, en effet. Brillant de mille feux. A portée de sa main. L'intrépide s'en empare et remonte rapidement à l'air libre. Fou de bonheur, riche comme Crésus, il s'adresse à son butin : «Ah, coquine, je te tiens, cette fois, et je te tiens bien!»
Ces paroles malheureuses vont le perdre. Dans l'euphorie de se trouver maître d'une si grande masse d'or, il a oublié un des préceptes du rite : celui qui ouvre la bouche est destiné à ne jamais réussir.
Le fil magique se brise, la Chèvre d'Or s'évanouit. C'est en vain que, le lendemain et les jours suivants, il redescendra à la recherche du trésor perdu. Il ne reverra plus jamais la Chèvre d'Or.
Ce mythe se retrouve à l'échelle européenne. C'est le mythe du trésor inaccessible et du culte que l'homme a toujours voué à l'or.
Au départ, la Chèvre d'Or est donc un trésor en forme de chèvre. Certains folkloristes pensent qu'il s'agissait plutôt de pièces d'or cachées dans une outre en peau de chèvre. Le temps ayant détruit le cuir et la peau, il n'en resta bientôt plus que le nom associé au précieux métal.
Le trésor est gardé par un chat, un démon, un bouc noir, un vert-bouc aux yeux flamboyants, une bande de Nutons ou par Satan lui-même. Tous semblent prêts à châtier cruellement la cupidité des chercheurs.
A la faveur de la transmission orale et de ses déformations, un dédoublement s'est ensuite produit dans la légende : la Chèvre d'Or est devenue vivante.
C'est ainsi qu'elle apparaît à Somzée ou chez nos amis provençaux. Là, le récit populaire - dont Paul Arène a tiré son conte La Chèvre d'Or - met en scène un «cabro» aux cornes et sabots d'or. Relisez les Lettres de mon Moulin, Daudet en parle dans sa nouvelle Les Étoiles. L'animal erre dans la montagne, hante les Baux ou les ruines de l'abbaye de Montmajour, près d'Arles. Elle habite une grotte envahie de richesses. Elle est devenue la gardienne de son propre trésor.
Gilly
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