L'affection d'une chèvre
L'affection d'une chèvre
« J'étais dans le calme du désespoir, ne craignant ni ne désirant que mon supplice fût long, lorsqu'un bêlement plaintif vint frapper mon oreille : j'écoute, je l'entends encore ; il semblait venir de l'entrée de la caverne. Malgré moi je suis ému : je me lève, j'y cours, et j'aperçois le petit chevreau que j'avais sauvé, qui passait son nez blanc entre la pierre et le rocher, et me demandait de lui ouvrir.
Mes yeux se mouillèrent : je repoussai la pierre avec précaution. Dès que l'ouverture fut assez large, le chevreau entra, suivi d'une chèvre ; elle était blessée, et son sang coulait. à peine arrivée, elle se couche à mes pieds, soulève sa tête, et la laisse retomber en haletant de fatigue et de douleur. Ce petit chevreau tourne autour de moi, bêle douloureusement, va lécher la plaie de sa mère, et revient me caresser, comme pour me prier d'en prendre soin.
J'examinai la blessure ; je reconnus la dent du loup. Sur-le-champ je vais chercher de l'eau, je lave la plaie, j'étanche le sang, et j'y fais tenir un appareil avec des morceaux de mes vêtements. Après cette opération, la chèvre me regarde avec tendresse, se renverse doucement, me tend ses mamelles pleines de lait, et semble m'inviter à partager la nourriture de l'enfant que je lui avais rendu.
Toutes les consolations humaines n'auraient pu m'empêcher de mourir ; cette chèvre et ce chevreau m'attachèrent à la vie. Résolu de passer mes jours avec eux, j'allai chercher une provision d'herbes et de fruits, et j'arrangeai la caverne de manière qu'elle fût commode pour nous trois.
Le lendemain je pansai de nouveau la plaie : au bout de quatre jours elle était guérie, et la chèvre sortait, quelquefois seule, quelquefois avec son chevreau, qui nous suivait également tous deux. J'errais, de mon côté, dans les montagnes voisines de ma caverne : tous les soirs nous nous retrouvions. Quand j'avais rencontré dans mes courses du serpolet ou du cytise, j'en apportais à ma compagne ; elle le mangeait dans ma main ; je mangeais mes fruits, et le petit chevreau tétait.
Après notre repas, j'allais fermer avec la pierre l'entrée de notre demeure ; et, couchés sur la mousse et les feuilles sèches, nous nous livrions au sommeil. »
Jean-Pierre Claris de Florian, Galatée (extrait), 1783
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